Chère Magalie Madison,
je viens de faire la rencontre de Premiers Baisers il y a un mois, et depuis - moi, qui jusqu’ici, est resté sans comprendre ce que c'est d'être un fan d'une série télévisé ou d'une star de télévision - je suis devenue un fan de Premiers Baisers, dont je ne rate pas un épisode des diffusions actuelles sur AB1, et de vous. Et je suis reconnaissant de ce forum qui me permet de vous adresser quelques mots.
Je me suis un peu informé, grâce aux ressources de la toile, sur vous, et sur "l'univers des séries AB". J'en ai regardé quelques épisodes des autres séries qui passent actuellement sur AB1, y compris 'Les années fac', et je trouve, très nettement, que 'Premiers Baisers' etait le moment de grâce dans cette aventure…avec vous comme clé de voûte. Entre l'ennui du ronron des maigres formules "soap" qui englouti "Helene et les garçons" et sa suite, et la fantaisie farfelue, vaguement "actuel" et complètement forcé du "Le miel et les abeilles" qui me laisse indifférent, les aventures d'Annette et d'Isa au lysée sont en équilibre sur un point exquis.
Evidement, Premiers Baisers, comme les autres séries AB, comme tout séries télévisé, etait une machine dont les parties multiples et changeantes, et les grosses rouages, ne fonctionnaient pas toujours à plein régime. Ceci dit, c'est un chef d'œuvre - pour moi la plus grande réussite du genre, et de loin, que je connaisse. Il est, sur tout, exemplaire de ce fameux "je ne sais quoi", de l'art français qui, autre fois, avec le tant regrettait "esprit français", etait si caractéristique des chefs d'œuvres de ce pays exceptionnel. Ce résultat magique, à mon avis (après avoir vu peut-être un petit tiers des épisodes PB), dépendait très largement de vous. J'aimerai vous en parler.
Les personnages AB s'appuis souvent sur la réalité des vies de leurs acteurs. Du point du vu artistique c'est un procédé problématique. J'ai ma petite idée pourquoi on faisait ce choix, mais peu importe. En tout cas, ça marche - ça a marché un temps - pour fidéliser une audience, et quand on ne cherche pas d'aller plus loin que la valse des amants de la formule "soap". Justement 'Les années fac' a souffert de cela. C’était alors impossible de garder Annette, petite fille, au cœur de l'histoire. Dans les derniers épisodes de PB, donc, le personnage d'Annette semble de s'y coller de moins en moins. Comment pourrait un tel personnage rester la meilleure amie d'une jeune femme qui couche et qui découche, qui a des problèmes de, mettant, « type adulte »? Et Annette elle-même, en jeune femme; ce n'est plus "Annette". Elle devient, soi un personnage farfelu, un clown, ou bien un personnage banal. Or, justement, la merveille d'Annette, c'est que, malgré ses salopettes, ses nattes et sa voix (qui n'est pas criarde de tout, mais douce et flexible!) elle n’est pas un clown, et elle n’est certainement pas banal!
Au contraire de tant d'autres personnages AB, elle est une véritable création, même le plus réussit "création" de toutes les séries (jugement de ce que j’ai vu jusqu’ici). Elle n'appuis nullement sur la réalité de votre vie pour donner un peu de profondeur à une caricature, et votre talent a explosé le petit niche de « meilleur amie » du personnage principale, dont ce rôle semblait destiné.
Une des choses la plus caractéristique et exemplaire dans Premier Baisers, c'est la relation entre M. Girard et Annette. M. Girard semble être le seul personnage crée par Azoulay qui se base sur lui-même. Les scènes d’Annette avec M. Girard (et quel talent fin que ce Le Millin!) - ou quand, en son absence, Annette s’occupe de lui - ont quelque chose de très particulier. Ils sont exemplaires de ce point d'équilibre entre le tragique du pacotille "soap", et le fantasque insignifiant, qui semble toucher le cœur de l'inspiration d'Azoulay, et qui ont favorisé l’envole de votre don exceptionnel. Je ne sais pas mais, peut-être, ce "moment de grâce" qui etait Premiers Baisers, tenait de cela, de votre jeu qui permettait à Azoulay de se mettre en scène, pour ainsi dire, en face de ce qu'il a en lui de plus créateur, quelque chose de très français qui ne supporte ni les plates mécanismes ni les fantaisies lourdingue, mais qui respire une légèreté qui vient, par miracle, du cœur de la vie. C'est pour ca que les situations et les dialogues de PB (sur tout quand il s'agit d'Annette) me rappelle souvent Labiche, mais que les autres séries ne me rappelle que les "soaps" et les "séries comiques" américains, plus ou moins indigestes.
Votre jeu était toujours comique bien sur, mais aussi toujours touchant. Ca marche tellement que, concernant l’attitude d’Annette en vers M. Girard, les autres personnages en parlent dans exactement ces termes. C’est à dire que tout le monde (l’auteur comme l’audience) ne pouvait que se convenir devant cette réussite. A mon avis il n'y avait que vous pour permetre un tel exploit. Je ne vois personne - sauf, peut-être, Shirley Temple ou Judy Garland - qui aurai pu le faire. Car il ne s’agit pas d’une chose qui n’est que un peu drôle, et plus ou moins "touchant", comme ça, mais une chose carrément hilarant et profonde à la fois; inoubliable! (Je viens, a l’instant, de voir l’épisode « Un nouveau-né », dont je me demande s’il n’est pas l’apogée de la relation entre M. Girard et Annette, qui était à deux doigts de lui demander de lui faire un bébé! Ca me rappelle une scène dans « Mon Oncle » de Tati…)
Vous aviez su incarner un personnage à la fois comique et tragique mais d’une simplicité bluffant, outre passant toute la grotesque dont la mis en scène vous a accablé. Une telle acrobatie, délicate et spectaculaire, est rarissime. Annette pleure, et c'est drôle aussi. Elle rit et exulte, et ça a quelque chose aussi de triste, de délicieusement aigre, de "méchante" même. Elle ment, elle est jalouse, possessive, indiscrete, ridicule, et...c'est touchant, délicieux, vrai! Des tours de force parelles, il faut les chercher! Il faut un Fernandel. Votre jeu me fait penser aux tableaux de Fragonard, tellement, comme lui, vous cacher la force dans la légèreté, la mélancolie dans le rire, et la sobriété dans la fantaisie.
Aujourd'hui - en dehors de ce moment magique au début des années 1990 - un talent comme le votre, y a t'il une place pour lui? J’espère bien!
Avec gratitude,
Paul Rhoads